vendredi 15 juin 2012

Israël-​​Palestine : le match d’une vie



Pendant que l’Euro 2012 bat son plein, un autre match, autrement plus important, se joue en Israël. Espoir de toute une nation, le foot­balleur pales­tinien Mahmoud Sarsak serait aujourd’hui entre la vie et la mort, enfermé dans une prison israé­lienne, rap­porte Le Monde​.fr. Ori­gi­naire de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le petit Mahmoud a tou­jours rêvé de devenir foot­balleur pro­fes­sionnel. Encore ado­lescent, il joue déjà pour la sélection nationale gazaouie. Très vite, il tape dans l’oeil des recru­teurs de Batala, un camp de réfugiés dont l’équipe est l’une des plus brillantes des ter­ri­toires palestiniens.

Pro­blème, il est presque impos­sible pour les habi­tants de Gaza de sortir de l’enclave, soumise à un blocus par Israël depuis la capture de Gilad Shalit en juin 2006, ren­forcé un an plus tard après la prise de contrôle du ter­ri­toire par le Hamas. Mais, conscients de détenir leur future pépite, les diri­geants de Batala vont tout mettre en oeuvre pour per­mettre au joueur de tra­verser la fron­tière israé­lienne, et ainsi de pouvoir gagner la Cis­jor­danie. Mais le rêve va se heurter à un mur. Le 22 juillet 2009, le transfert, pourtant concrétisé, s’arrête net au ter­minal d’Erez. Le consi­dérant comme un "com­battant ennemi", les forces israé­liennes l’arrêtent sur-​​le-​​champ, avant de le placer en détention admi­nis­trative. Cette dis­po­sition spé­ci­fique, héritée du mandat bri­tan­nique sur la Palestine, permet à l’État hébreu d’incarcérer sans incul­pation ni jugement un suspect pour une période de six mois, renou­ve­lable indéfiniment.

Outre Mahmoud Sarsak, deux autres joueurs pales­ti­niens, le gardien de l’équipe olym­pique Omar Abou Roïs, 23 ans, et Mohammad Nimr, 22 ans, qui joue pour le club du camp de réfugiés d’al-Amari à Ramallah, ont tous deux été arrêtés en février par l’armée israé­lienne. Ils sont depuis "détenus sans incul­pation ni jugement".

"Aucune preuve" (Human Rights Watch)

"Le niveau de preuve néces­saire à une détention admi­nis­trative est encore plus bas que pour les cas cri­minels", indique au Point​.fr Bill Van Esveld, rap­porteur à Jéru­salem de l’organisation Human Rights Watch. "Aucune preuve n’est pré­sentée au détenu ou à son avocat", ajoute-​​t-​​il. "Le fait d’appartenir à une orga­ni­sation définie comme ter­ro­riste par Israël suffit dans beaucoup de cas à jus­tifier une arres­tation, sans pour autant prouver que la loi a été enfreinte", rap­pelle, de son côté, Ran Cohen, membre de l’organisation des Médecins pour les droits de l’homme-Israël. En témoigne, par exemple, l’arrestation jeudi matin d’un Pales­tinien de 95 ans dans le sud de la Cisjordanie.

"Israël avait accordé à Mahmoud Sarsak une auto­ri­sation de passage de Gaza vers la Cis­jor­danie", déplore à l’AFP Mou­zaffar Dhouqan, un res­pon­sable du club de Balata, assurant avoir suivi "toutes les pro­cé­dures requises" par l’administration mili­taire israé­lienne. Depuis, c’est le néant… jusqu’au 19 mars dernier. Crai­gnant de tomber dans les oubliettes de l’histoire, le joueur recourt à la der­nière arme de pri­son­niers pales­ti­niens : la grève de la faim. Mahmoud Sarsak se joint aux quelque 1 600 détenus pales­ti­niens réclamant l’abolition de la détention admi­nis­trative et de l’isolement car­céral, deux pra­tiques consi­dérées comme illé­gales au regard du droit international.

Accord non respecté (Amnesty)

L’action col­lective fait grand bruit. Après une médiation de l’Égypte, Israël accède fina­lement aux reven­di­ca­tions des pri­son­niers pales­ti­niens, en échange d’un enga­gement signé de "s’abstenir de tout acte de ter­ro­risme" ainsi que de toute nou­velle grève de la faim. Or, dans les faits, l’accord serait loin d’être res­pecté. Amnesty Inter­na­tional affirme avoir relevé depuis l’accord plus de 30 cas où les ordres de détention admi­nis­trative ont été renou­velés. D’après l’organisation, trois nou­veaux cas auraient même été enregistrés.

N’ayant obtenu aucun enga­gement écrit de la fin de sa détention admi­nis­trative, Mahmoud Sarsak a de nouveau cessé de s’alimenter, se limitant à l’absorption de glucose et de vita­mines. D’après Amnesty Inter­na­tional, il risque de mourir très pro­chai­nement. Pour la pre­mière fois depuis le début de sa grève de la faim, un médecin indé­pendant (de l’ONG israé­lienne Médecins pour les droits humains-​​Israël, NDLR) a été autorisé à lui rendre visite le 6 juin dernier. Le pro­fes­sionnel de la santé a constaté que le pri­sonnier avait perdu un tiers de son poids et qu’il s’évanouissait fréquemment.

L’appel de Cantona

Inter­rogée par Le Point​.fr, la porte-​​parole de l’administration péni­ten­tiaire israé­lienne confirme que Mahmoud Sarsak se trouve tou­jours en détention admi­nis­trative. Sivan Weizman affirme tou­tefois que le pri­sonnier a été conduit dimanche dans un hôpital exté­rieur à la prison de Ramleh et qu’il a recom­mencé à s’alimenter de retour au centre médical péni­ten­tiaire, version que contestent ses proches. Son avocat a indiqué à l’AFP que le service de sécurité israélien allait exa­miner jeudi le dossier secret de son client, confor­mément à une décision de la Cour suprême. "S’il n’y a pas de preuve sup­plé­men­taire que Mahmoud Sarsak repré­sente un danger pour Israël, il devrait être libéré", a ajouté Mohammad Jab­barine à l’AFP.

"Nous ignorons pourquoi il est détenu. Il n’a rien à voir avec la poli­tique", s’est insurgé son frère, Imad, à l’occasion d’une mani­fes­tation orga­nisée devant le quartier général du Comité inter­na­tional de la Croix-​​Rouge (CICR) à Gaza. "Nous appelons les clubs arabes et euro­péens à sauver la vie d’un foot­balleur", a-​​t-​​il ajouté. L’appel semble avoir été entendu. Mardi, Mahmoud Sarsak a béné­ficié d’un soutien de poids en la per­sonne d’Éric Cantona. "Il est temps de mettre fin à l’impunité d’Israël et d’insister sur les mêmes cri­tères d’égalité, de justice et de respect de la légis­lation inter­na­tionale que nous exi­geons des autres États", indique sa missive, adressée au ministre bri­tan­nique des Sports et au pré­sident de l’UEFA, Michel Platini, et également signée par l’intellectuel amé­ricain Noam Chomsky et le réa­li­sateur de cinéma bri­tan­nique Ken Loach.

Le message n’est pas resté lettre morte. Le même jour, le pré­sident de la Fifa, Joseph Blatter, qui n’est pourtant pas réputé pour son courage, a exhorté la Fédé­ration israé­lienne (IFA) à inter­venir en faveur des joueurs pales­ti­niens "détenus de manière pré­ten­dument illégale", évoquant le sort de Mahmoud Sarsak. Jeudi, c’est le pré­sident de la Fédé­ration pales­ti­nienne de football (PFA), Jibril Rajoub, qui a demandé à l’UEFA de sanc­tionner Israël en lui retirant l’organisation de l’Euro des moins de 21 ans en 2013. Et la famille du foot­balleur pales­tinien d’espérer que l’État hébreu ne jouera pas les prolongations.

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